Les résultats des recherches campanographiques en Saône et Loire par l'Abbé Tof
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Ce 23 juillet 2011, nous sommes au bas de l’escalier qui mène au clocher de la cathédrale St Lazare d’Autun. Nous sommes accompagnés par Monsieur Hervé Gouriou. Ses connaissances nous seront très utiles entre autre pour l’analyse musicologique des cloches et en particulier du bourdon.
Achevée de construire en 1146, la cathédrale se compose de 2 tours muettes en façade (muettes car elles ne possèdent pas de cloches). Elles encadrent le porche qui abrite le fameux tympan qui fait la renommée de la cathédrale. Le plan est en forme de croix latine. Le clocher se situe à la croisée du transept et se remarque par sa flèche culminant à 80 mètres de haut. Construite en 1469 par le cardinal Rolin, cette flèche remplace le clocher roman qui avait été détruit par la foudre.
L’escalier se situe dans le transept Nord. C’est un escalier en colimaçon apparent c’est à dire qu’il n’est pas fermé dans une tour, mais il est ouvert et la rampe en pierre est sculptée. Cet escalier nous mène à un premier niveau, qui correspond à peu près à la mi hauteur de la nef. Un passage de quelques mètres nous fait passer devant la salle de l’horloge astronomique puis à nouveau un escalier en colimaçon nous amène au niveau des combles. Là un passage d’une quinzaine de mètres nous conduit jusqu’à la tourelle escalier jumelée à la tour du clocher. Sur ce passage nous
constatons l’excellent état des parties de la charpente et de la maçonnerie que nous voyons. Tout est un très bon état, comme neuf et tout est propre. Cette dernière partie d’escalier pour atteindre la salle des cloches et la plus importante. La salle des cloches se situe à environ 40 mètres de haut, au niveau des abat-sons du clocher. L’escalier continue pour mener quelques mètres plus haut, à la terrasse qui se trouve à la base de la flèche.
En entrant dans la salle des cloches, nous sommes d’abord saisis par l’espace de la pièce composée d’un carré de 10 mètres de large par 10 mètres de long et d’un volume impressionnant puisque qu’il n’y a pas de plafond, ou plutôt, c’est la flèche en pierre qui recouvre l’ensemble. Cette haute flèche est jalonnée par 2 étages espacés d’ouvertures. Le plancher est en bois et semble en bon état. Le beffroi est au milieu. De ceux que nous avons visité jusque là, ce beffroi est un ‘4 étoiles’ c’est à dire qu’il est propre, en bon état, que les cloches sont à hauteur d’homme et il y a même un plancher au dessus des cloches, accessible par un escalier. Ce plancher permettait jadis aux sonneurs de pourvoir accéder aux cloches par le dessus. En effet, si ici ou là nous trouvons dans le sol les trous des cordes pour actionner les cloches, au dessus de chacune d’elles se trouvent également des arches
en bois munies de poignées en fer auxquelles les sonneurs se tenaient pour sonner les cloches au pied, en appuyant sur une marche fixée au joug des cloches. Ce procédé, de préférence utilisé pour des grosses cloches (il fallait par exemple 8 sonneurs pour actionner au pied le bourdon de Notre Dame de Paris) était dangereux. Il n’était pas rare que des accidents mortels se produisent suite à une perte d’équilibre du sonneur. Les sonneurs étaient donc pris parmi les indigents qui étaient sur les places devant les cathédrales et qui faisaient la quête. Contre une obole, ils prenaient le risque de sonner les cloches. On appelait ces gens là des clochards. Pour savoir à quels moments sonner, il y
a un cadran sur lequel était montrée par une flèche les inscriptions « Sonnez » puis « arrêtez ». La flèche était actionnée depuis le bas par un système de cordes que tirait l’ordonnateur de la sonnerie.
Le beffroi supporte donc 4 cloches réparties de la façon suivante : le bourdon, cloche 1 dans la chambre du milieu, la cloche 2 dans la chambre sud et les cloches 3 et 4 dans la chambre Nord, celle qui est le plus proche de l’entrée dans la salle.
Le décor étant planté, commençons par l’analyse campanographique des cloches.
La première cloche, la plus imposante est aussi la plus ancienne que nous ayons répertoriée jusqu’à présent. Elle s’appelle Marthe et date de 1476. Charles le Téméraire est alors Duc de Bourgogne, Louis XI roi de France et Sixte IV est Pape à Rome. Si la date de la cloche est gravée dans le bronze, il existe une autre façon de se rendre compte que nous avons à faire à une cloche ancienne, c’est sa forme et son aspect. L’usure des anses : les personnages sont à peine visibles. L’épaisseur à la pince, le diamètre à la base, important pour sa hauteur, lui donnent l’allure d’une cloche à profil lourd. Le décrochement faible au niveau du cerveau, sa ligne en forme de pain de sucre. Nous dirons de son style qu’il est vénitien. La couronne est importante vu la taille de la cloche. Les fondeurs de l’époque (quasi tous ambulants) n’avaient pas ou peu de documents écrits avec eux. La tradition se transmettait par l’oral et par la pratique. De plus, si leur science était (et est encore) un art, ils n’avaient cependant pas d’abaques leur permettant de calculer les justes profils de leurs cloches. On construisait donc le plus ‘mastoc’ possible pour que ce soit solide.
Le joug est en bois massif, pas d’époque. Les ferrures de fixation sont au nombre de quatre des deux côtés du joug et une à l’intérieur du joug, qui rejoint l’anse maîtresse qui rentre dans le joug. Cette anse maîtresse doit certainement être assez importante en taille.
La couronne est donc composée de 6 anses décorées par des visages
humains (plus l’anse maîtresse au milieu). Au cerveau, un plateau puis 3 filets et une frise de feuillage donnant sur le décrochement du plateau à la robe (l’arrondi en haut de la cloche). Tout de suite, 3 lignes d’écritures en gotique. Ligne 1 : le texte commence par une croix JE FUS DU NOM DE MARTHE BAPTISEE * PAR JEHAN ROLIN CAROLUS (Z) DONNEE * NOBLE PASTEUR DU SAINT LIEU DE CEANS *. Ligne 2 : une main indique le départ de la ligne DE SEPT MILLIERS AU POIS JE FUS PESEE * MIL QUATRE CENS SEPTENTE (Z) SIX L ANNEE * FU MISE OU JE SUIS BIEN CEANS. Ligne 3 : cette ligne est composée de
blason et d’armoiries : St Michel au nord, les armoiries que nous supposons être du
cardinal Rolin, la crucifixion, la vierge à l’enfant. Plusieurs fois répété : DEUM puis plus loin TIME.
L’astérisque * signifie l’emplacement d’une petite fleur en forme de rosasse. (Z) signifie à deux reprises un Z majuscule barré horizontalement au milieu et légèrement penché.
A mi-hauteur, sur une ceinture de fleure, une croix en feuillage. Au bas de la robe, 3 filets dont le plus gros est au milieu. A la pince une frise encadrée de filets.
La cloche a été tournée d’1/4 de tour, afin de limiter l’usure à la zone de frappe. Ce quart de tour est courant pour les cloches anciennes ou celles qui servent très souvent. Sans ce procédé, l’usure à la frappe serait si importante que la cloche finirait par se fendre et se fêler. Cependant cette action a eu pour effet le perçage de la cloche au niveau du cerveau, pour tourner la bélière, qui donne l’axe au battant à l’intérieur. (Si la cloche a tourné d’un quart de tour, l’axe de balancement dans la chambre du beffroi, lui, reste le même : Nord-Sud. Il est donc nécessaire de réorienter l’axe de balancement du battant pour qu’il se balance lui aussi dans l’axe Nord-Sud.) Cette ‘réparation’, avec l’âge, à pris beaucoup de jeu et aujourd’hui la bélière qui tient le battant et qui doit être solidaire de la cloche, bouge énormément, ce qui nous incite à déconseiller l’utilisation de cette cloche en volée tant que des réparations n’auront pas été faites. Nous constatons également des ébréchures à la pince, mais vu l’âge de la cloche, on est en droit de se dire que c’est normal au regard des péripéties qu’elle a dû voir… Elle est équipée d’un moteur et d’une roue de volée ainsi que d’un tintement électromécanique.
Ses dimensions sont les suivantes (en cm): hauteur à l’axe : 172 ; hauteur au cerveau : 137 ; diamètre extérieur : 168 ; épaisseur du bord à la zone de frappe : 15 (cette mesure est une estimation proche de la réalité), estimation du poids : 3200kg. Sa note est Si. (pour l’analyse complète de la cloche, voir à la fin.). Concernant le poids, après recherches, nous découvrons, concernant la mention "Sept milliers", que le millier est égale à 1000 livres, soit environ 480kg. Sept milliers donne donc un poids de 3360kg...
Passons maintenant à la seconde cloche. Cette cloche, du nom de Lazare, est plus récente puisqu’elle date de 1854. C’est le fondeur Burdin fils qui l’a coulée à Lyon. Son joug est en bois massif avec ferrures de fixations rondes. La couronne à 6 anses est ornée de feuillages. Au cerveau nous trouvons 3 filets, 2 rebords, un plateau puis le décrochement de la robe. Ensuite un filet puis tout de suite 4 lignes d’écritures en lettres romaines. La première commence par une croix : ligne 1 : cette ligne est en relief : LAZARI NOMINE DICATA. SEDENTES IN UMBRA MORTIS CHRISTI VOCEM FERENS EXITO. Ligne 2 : les lignes 2 et 3 sont en empreinte dans la cloche : OPTANTE CAPITULO FAUSTA PRECANTE D.D. DE MARGUERYE EPISCOPO D. IOSEPHUS EUGENIUS SCHNEIDER VICE – PRAESES CORPORIS LEGISLATORUM IMPERII FRANCORUM. Ligne 3 : ET DE ALIX PAULINIER UXOR BARONIS DETIET SUB-PRAEFECTI AUGUSTODUNENSIS DIE XV IUIN AN MDCCCLIV ME NUNC UPARUNT. Ligne 4 : cette ligne est vide. Sous ces inscriptions, 2 filets encadrant une série de rayures circulaire de 10 cm de haut puis quatre représentations : au Nord, la Vierge à l’Enfant, au Sud un calvaire, à l’Est les armoiries de l’évêque du lieu, à l’Ouest, une croix ornée dans un blason. Au bas de la robe, 2 lignes
de texte en écriture romaine et en relief : ligne 1 : BURDIN FILS AINE FONDEUR A LYON 1854. Ligne 2 : L.CHICOT ING. MECANICIEN. Ce dernier, Louis Chicot travaillait avec le fondeur pour installer les cloches. A la pince, 6 filets.
La cloche présente quelques ébréchures à la pince mais n’est pas fêlée. Elle n’a pas été tournée. Le battant matricé est relié à la bélière d’origine par son baudrier à chape métal-cuire en bon état. La chasse du battant, c’est à dire la partie du battant qui se trouve sous la boule de frappe, est percée d’un trou certainement pour faire passer une corde et faire tinter la cloche quand on ne voulait pas la mettre en volée. Elle est équipée d’un moteur et d’une roue de volée ainsi que d’un tintement électromagnétique extérieur. Ses dimensions sont les suivantes : hauteur à l’axe : 117 ; hauteur au cerveau : 100 ; diamètre extérieur : 121, intérieur 98 ; épaisseur du bord à la zone de frappe : 8, à la zone intacte : 8.6, estimation du poids : 1000kg. Sa note est Mi. Cette cloche tinte les 3x3 coups de l’angelus.
Passons ensuite à la troisième cloche du nom de Gabriel. Cette cloche présente exactement les mêmes décors que la cloche Lazare puisqu’elle a été fondue en même temps par le même fondeur. Seuls les décors de la couronne et les inscriptions changent. La couronne en effet, ici représente les têtes d’angelots sur chacune des anses. Quand aux lignes d’écritures, elles sont également au nombre de quatre mais seules les trois premières sont remplies. Ligne 1 : GABRIELIS VIRTUTE DUCTA. EVANGELIUM NUNCIO. Ligne 2 : OPTANTE CAPITULO FAUSTA PRECANTE D.D. DE MARGUERYE EPISCOPO MARCHIO CARLUS MACMAHON ET DLLA GABRIEL. Ligne 3 : DE MARGUERIE DIE XV IUIN AN MDCCCLIV ME NUNC UPARUNT.
La cloche est équipée d’un joug en bois massif avec cale du côté de la couronne. Ce procédé, plus clair sur la quatrième cloche, sert à abaisser le centre de gravité de la cloche pour lui donner plus d’amplitude. Comme ceci, on peu régler le rythme de la volée et avoir dans ce cas un rythme plus lent. Ce système, appelé le super-lancé est courant lorsque l’on a des écarts importants de poids entre les cloches. Pour que cette cloche-ci et sa petite sœur se balancent à un rythme qui ne soit pas trop décalé par rapport à celui du bourdon (le bourdon, vu son poids se balance assez lentement alors que ces plus petites cloches se balancent plus rapidement), on use de ce moyen pour palier l’écart de rythme. Le battant à boule soudée est relié à la bélière d’origine par son baudrier à chape métal-cuire neuf et donc en bon état. Elle est équipée d’un moteur et d’une roue de volée ainsi que d’un tintement électromagnétique extérieur. Elle n’est ni ébréchée ni fêlée ni tournée. Ses dimensions sont les suivantes : hauteur à l’axe : 115 ; diamètre extérieur : 108, intérieur 88 ; épaisseur du bord à la zone intacte : 8, estimation du poids : 750kg. Sa note est Fa#. Cette cloche sonne la volée de l’angelus. La volée présente un grincement au niveau des paliers ou de la roue qu’il serait bon d’éliminer pour gagner en pureté sonore et éviter les dégradations dues au frottement évident.
Passons à la quatrième cloche, du nom de Madeleine. Comme ses 2 sœurs immédiates les décors sont identiques sauf pour la couronne qui est composée de personnages fantastiques. Les quatre lignes d’inscription sont remplies toutes les quatre : ligne 1 : MAGDALENA VOCOR. AMORE CHRISTI MOVEOR. Ligne 2 : OPTANTE CAPITULO FESTA PRECANTE D.D. DE MARGUERYE EPISCOPO D. GASTO ERNESTUS PROSPER DE
SERMIZELLI (ici une flèche indique de passer à la ligne suivante). Ligne 3 : ET DLLA MARIE MAGDALENA DE FONTENAY. Ligne 4 : DIE XV IUIN AN MDCCCLIV ME NUNC UPARUNT. Son joug en bois est en super-lancé bien prononcé. La battant
matricé, en mauvais état (au niveau de sa boucle dans le baudrier) est relié à la bélière par la chape métal-cuire qui est cassée. Elle est équipée d’un moteur et d’une roue de volée ainsi que d’un tintement électromécanique extérieur. Ses dimensions sont les suivantes : hauteur à l’axe : 117 ; hauteur au cerveau : 80.5 ; diamètre extérieur : 96, intérieur 80 ; épaisseur du bord à la zone de frappe : 7.1, à la zone intacte : 6.5, estimation du poids : 550kg. Sa note est La b.
Après avoir écouté et regardé sonner l’angelus, nous redescendons. Nous avons répertorié toutes les cloches du clocher de la cathédrale, cependant en redescendant, un arrêt dans la salle de l’horloge astronomique a mis en évidence l’existence de 2 autres cloches qui servent de timbre à l’horloge mais que nous n’avons pas trouvées…
La sonnerie de l'Angelus tintée sur la cloche 2 et volée sur la cloche 3
Volée du bourdon Marthe lors de la procession de la messe Chrismale 2012
Vidéo de la sonnerie du Plenum (toutes les cloches)