Les résultats des recherches campanographiques en Saône et Loire par l'Abbé Tof
Au cours de notre petite tournée en charollais, ce vendredi 12 avril 2013, nous voici devant l’église de Lugny-lès-Charolles. L’église, dédiée à Saint Martin date du 19° siècle, certainement rebâtie sur les ruines ou à proximité ou en remplacement d’une église plus ancienne car en effet, l’on atteste d’une vie à Lugny dès le 9° siècle, avec les Seigneurs de Lugny. Ce lieu fut l’une des 4 baronnies du Charollais.
Nous sommes en présence de monsieur Patrick Gelet, campaniste.
Pour accéder au clocher dont la tour est en façade, nous empruntons un escalier à vis en pierre qui nous mène au niveau de la tribune. De là, une grande échèle en acier nous conduit jusqu’au beffroi. C’est un beffroi en bois en relativement bon état. Les poutres sont de grosse section et des tirants de réglage en acier permettent d’assurer la construction. Notons tout de même que l’état du plancher est moyen et qu’il reste, posées sur la charpente de la flèche, les anciennes roues de volée en bois.
Il y a 2 chambres, pour 2 cloches. Nous sommes en présence de cloches anciennes dont l’une est datée et l’autre ne l’est pas, mais sa forme et la forme de ses anses nous disent une certaine ancienneté. Nous pouvons donc commencer l’étude des cloches.
La première cloche, la plus grosse, date de l’an 1611. Elle provient de la commune voisine de Nochize. Elle est équipée d’un joug métallique droit, d’une couronne à 6 anses non décorées. A l’intérieur la bélière semble d’origine, mais trop large : le baudrier (chape métal-cuire) semble
inadapté puisque le jeu qui existe permet au battant (matricé) de tourner dans la cloche, ce qui n’est pas bon et qui explique en partie la largeur des points de frappes. La cloche n’a pas été tournée. Elle n’est pas fêlée mais présente entre autres ébréchures, une partie de la pince manquante (ébréchure importante) juste au dessous de l’un des points de frappe (morceau manquant de 10cm de large par 2cm de haut). De cette ébréchure part une fissure horizontale qui risque de s’agrandir et de casser un nouveau morceau de la cloche. Cette fissure n’est pas verticale, donc nous ne parlons pas de fêlure à priori,
mais même si à l’oreille le son est assez peu altéré, la résonnance est bien diminuée.
En haut de la robe, 2 lignes d’écritures en gotique. Ligne 1 : XPS VINCIT XPS REGNAT XPS INPERAT XPS AB A MALO NOS DEFENDAT AMEN. Ligne 2 : 1611 TIORS DAME SIRE DE VE ?E . La traduction de la première ligne est la suivante : CHRIST A VAINCU CHRIST REGNE CHRIST COMMANDE CHRIST NOUS DEFEND CONTRE TOUT MAL AMEN. Pour la seconde ligne, la traduction n’est pas évidente car la lecture n’est pas très claire.
Prises dans les lignes, 3 représentations : St Michel terrassant le dragon, la Vierge à l’enfant, et le Christ de Pitié (entouré des instruments de la passion). 3 filets au milieu de la robe puis 3 autres à la pince.
La cloche est électrifiée : un moteur de volée lui permet de sonner en lancer franc. Elle ne possède pas de tintement.
Ses dimensions sont les suivantes ( en cm ) : hauteur à l’axe : 80 ; hauteur au cerveau : 67 ; tangente pince/cerveau : 70 ; oblique bélière / frappe : 69 ; diamètre intérieur / extérieur : 65 / 84 ; épaisseur du bord à la zone intacte / à la zone de frappe : 5.7 / 4.9. Elle sonne le Si. Poids estimé : 425kg
La cloche est de profil moyen (14,7 de bord) et son profil ressemble quelque peu au profil vénitien (aussi appelé profil en pin de sucre).
Si ce qualificatif ne s’applique que légèrement à la première cloche, il convient tout à fait à la seconde qui est la plus petite. Cette cloche n’est pas datée, mais nous pouvons dire, à la vue de son profil et de la facture de ses anses, qu’elle est probablement plus ancienne que la première. Qu’elle soit du 15° siècle, et même avant, est très probable. Equipée d’un joug métallique droit, ses anses sont relativement
fines et peu travaillées. Cette cloche a fait l’objet d’une restauration en 2011 et d’une recharge au niveau des points de frappe dont l’usure avait atteint un pourcentage critique et la cloche menaçait de fêler. Recharger une cloche au zones de frappe est une opération délicate puisqu’il faut chauffer
dans un four l’ensemble de la cloche à près de 700°c afin que l’application du métal chaud (à plus de 1000°c) ne créé pas de choc thermique.
A l’intérieur de la cloche la bélière semble d’origine. La battant et le baudrier, de mêmes factures que ceux de la première cloche, ne sont visiblement pas adaptés puisque le battant imprime des mouvements circulaires (on dit qu’il fait des ‘huit’ car le mouvement dessine des 8 dans la cloche) et vient frapper là aussi la cloche sur une zone assez large.
Au cerveau, un filet puis une ligne d’écritures qui commence par une croix : + MENTEM SANCTAM SPONTANEAM HONOREM DEO ET PATRIE LIBERACIONEM AMEN. Traduire cette devise n’est pas chose facile. Une traduction possible serait : « D’une intelligence sainte et spontanée, pour l’honneur de Dieu et la libération (ou délivrance) de la patrie ». (Interprétation personnelle) Nous savons que cette devise est apparue principalement dans l’art campanaire dès le 13° siècle. Elle est liée au tombeau de Sainte Agathe, jeune fille martyrisée au 3° siècle à Catane en Sicile. Après sa mort, des anges seraient venus déposer une plaque de marbre devant son tombeau qui était recouvert d’un voile. S’en suivit une irruption du volcan l’Etna dont la coulée de lave fut arrêtée dit-on, par le voile du tombeau de la sainte. C’est pourquoi l’on a attribué par la suite, à l’invocation de Ste Agathe, la vertu de chasser la foudre et le feu… Quel rapport entre cette phrase déposée par les anges et le miracle ? Toujours est-il qu’il n’en fallu pas plus à la piété populaire puis à l’église ensuite pour inscrire cette devise comme antienne de l’office de Ste Agathe, ce qui explique en partie qu’elle fut portée sur les cloches. Le propos n’étant pas ici de commenter l’histoire des devises dans l’art campanaire (cela est déjà fait dans des ouvrages), continuons notre étude. Notons tout de même, enfin, que le type d’écriture, qui n’est pas du gotique, ressemble plutôt à un type d’écriture entre ‘l’Oncial’ et ‘la Caroline’ (ce dernier type fût imposé par Charlemagne au 9° siècle, ce qui permet de situer la période de la cloche, peut être dans les 13 voir 14° siècle (tenant compte aussi de la devise…)
Sur la ligne d'inscriptions, 2 cartouches représentent la Vierge à l'Enfant pour l'un et le Christ de Pitié (Christ poings liés entouré des instruments de la Passion) pour l'autre.
Sous cette inscription, 3 filets, puis 2 autres au bas de la robe.
La cloche est équipée d’un moteur de volée ainsi que d’un tintement par un moteur électromécanique.
Ses dimensions sont les suivantes ( en cm ) : hauteur à l’axe : 61 ; hauteur au cerveau : 49 ; tangente pince/cerveau : 50 ; oblique bélière / frappe : 52 ; diamètre intérieur / extérieur : 48.5 / 61.5 ; épaisseur du bord à la zone intacte / à la zone de frappe : 4.6 / 4.5. Elle sonne le Fa. Poids estimé : 132kg
Une fois ces mesures prises, nous avons droit à une sonnerie des quelques secondes sur chaque cloche.
Nous remercions bien notre accompagnateur et la mairie de Lugny-lès-Charolles de nous avoir autorisé l’accès au clocher
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